Prendre en compte le microbiote (buccal, intestinal, vaginal, séminal…) est devenu incontournable. Des études de plus en plus nombreuses permettent d’identifier les bactéries impliquées dans des troubles aussi divers que la dépression, le bruxisme, le psoriasis, la polyarthrite rhumatoïde… Mais est-il pertinent d’avaler des probiotiques à l’aveugle ?
L’académie de médecine (1) précise que « de nombreux composants impactent de manière bénéfique ou négative les relations hôte–microbiote, et ceci de manière individu spécifique ». Pour une médecine de précision et des traitements utilement personnalisés, il est nécessaire d’avoir un diagnostic de précision. C’est ce que permet le séquençage ADN du microbiome issu de prélèvements.
Interview de Kahina Oussedik, docteure en biochimie moléculaire, cofondatrice de Globalbiot, spécialisée dans l’analyse des microbiotes depuis 2013. Ne manquez pas la (visio)conférence à l’invitation de l’association Vim Vitae, le 4 décembre 2025 (réservation ici). Cette soirée-rencontre s’adresse à tous les professionnels de santé – dentistes, ostéopathes, médecins, psy… – qui souhaitent découvrir comment le diagnostic de précision du microbiote peut transformer leur pratique et offrir des solutions thérapeutiques personnalisées.
Du diagnostic à l’aveugle au soin sur mesure
Vous travaillez sur les microbiotes depuis plus d’une décennie, comment de la biochimie moléculaire en êtes vous venue à la proposition de solutions thérapeutiques personnalisées ?
Kahina Oussedik : Quand j’ai commencé mes consultations en biochimie moléculaire, dans l’accompagnement des patients en chimiothérapie, les gens ne comprenaient pas toujours ce que je proposais, mais petit à petit, ils ont saisi l’importance d’une approche globale mais très personnalisée.
Les nombreuses données collectées nous ont permis de comprendre comment ces populations bactériennes fonctionnent entre elles, comment les aider à se régénérer car absorber des probiotiques n’est pas nécessairement la seule ni la bonne solution. Nous avons beaucoup travaillé à formaliser comment accompagner les patients de manière concrète face à leurs problèmes de santé. A partir de l’analyse ADN du microbiote intestinal, avant, pendant, après la chimiothérapie nous avons pu adapter l’accompagnement et nous avons pu observé comment il était possible de réduire de 80% les risques de récidives de cancer ????.
Nous avons aussi travaillé sur les troubles digestifs comme la maladie de Crohn, le syndrome du côlon irritable – à bien distinguer d’un intestin inflammé. Nous avons travaillé sur le microbiote buccal, qui apparait comme un terrain d’observation précoce, en amont de l’intestinal, et sur le microbiote vaginal pour identifier les souches impliquées dans des infections récurrentes, pour lesquels les tests classiques revenaient négatifs.
Dans chaque cas, l’objectif était le même : proposer des solutions personnalisées basées sur une compréhension fine de l’écosystème microbien de chaque patient. Le défi c’était de rendre cette technologie accessible pour des traitements personnalisés et de la prévention.
Vous insistez sur ce point, comme l’Académie (1). « La médecine, ainsi que l’alimentation, personnalisées basée sur le microbiote offre une promesse pour le futur des soins de santé, en prenant en compte la complexité et l’individualité de chaque microbiote afin de mettre en place des interventions plus précises et efficaces ». Est-il indispensable de sortir des traitements probiotiques à l’aveugle ?
Kahina Oussedik : Oui, je crois qu’on peut le dire comme ça… Aujourd’hui, la plupart des gens prennent des probiotiques à l’aveugle. Alors que c’est comme pour les antibiotiques. Il est indispensable de bien connaître la cible pour choisir les souches et les concentrations. Choisir un probiotique exige de savoir s’il on a besoin de Lactobacillus ou de Bifidobacterium, ou les deux, et à quelle dose. Les résultats sont nuls si ce n’est pas la bonne souche. Inefficace si la concentration est insuffisante, ou à l’inverse, ça provoque des ballonnements et des gaz si le dosage est trop élevé pour leurs besoins.
Alors qu’à partir d’un échantillon, la technologie Shotgun permet de lire très précisément tout ce qui est contenu dans un prélèvement. Avec le séquençage du microbiome, nous identifions précisément quelles bactéries posent problème et lesquelles nécessitent un soutien. Une fois que tu sais ce que tu traites et quelle est la problématique, tu ajustes ta concentration et ton traitement. Nous pouvons recommander le probiotique adapté, à la bonne concentration, accompagné des vitamines et oligoéléments nécessaires pour que ces bactéries prolifèrent efficacement.
Des indicateurs cliniques pour chaque spécialité
Comment un praticien de santé peut-il identifier les situations nécessitant une analyse du microbiote pour un traitement pertinent ?
Kahina Oussedik : Ah c’est vaste ! C’est un des but de la conférence, aborder cette question avec les différents professionnels de santé… Les médecins, généralistes ou spécialistes, les dentistes, mais aussi les thérapeutes manuels confrontés à patients inflammatoires… Tous les publics sont concernés, et pour des problèmes divers.
Par exemple, les dentistes avec qui nous travaillons ont développé un regard clinique très affûté. Ils m’envoient des patients qui reviennent systématiquement pour des détartrages, qui présentent des aphtes récurrents, des infections persistantes dans la bouche, ou un déchaussement précoce. Ce sont des signaux d’alerte. Autre indicateur : chez les enfants, les caries récurrentes malgré l’arrêt du biberon et la réduction du sucre . Souvent, ce n’est pas seulement une question d’hygiène : des populations bactériennes se sont effondrées durant la petite enfance et doivent être reconstituées pour stopper l’évolution pathologique.
Les kiné et ostéopathes s’intéressent particulièrement aux troubles inflammatoires qui impactent la posture et les articulations. Pour la polyarthrite rhumatoïde, par exemple, nous savons aujourd’hui quelles populations bactériennes sont impliquées. Ces bactéries ont été validées par la communauté scientifique et médicale.
Lorsque nous détectons ces populations chez un patient, nous évaluons leur concentration. Chaque population a des besoins spécifiques : l’une nécessite de la vitamine C, une autre du zinc, une troisième de la vitamine E. C’est presque comme un scorbut au niveau articulaire. Ces bactéries ont également besoin d’un milieu acide pour proliférer, ce qui oriente le choix de probiotiques acidifiants comme le Bifidobacterium ou le Lactobacillus reuteri.
C’est complexe, mais aujourd’hui, en se basant sur les tout ce qui a déjà été validé par la communauté scientifique et médical, nous pouvons éclairer options des patients et des professionnels de santé.
Prévention : encourager les patients proactifs
Vous évoquez également une approche préventive. À qui s’adresse-t-elle ?
Kahina Oussedik : Nous avons fait le constat que 50% des personnes qui sollicitent des analyses sont des personnes dans une démarche préventive.
Beaucoup sont des personnes ayant des antécédents familiaux de cancer, diabète ou autres pathologies chroniques. Elles sont en alerte et souhaitent anticiper. Pour ces patients, le test permet d’identifier précocement des déséquilibres et d’intervenir avant l’apparition de symptômes.
Certains patients font un test annuel depuis des années. Ils observent, parfois avec étonnement, les fluctuations de leur microbiote en fonction des changements professionnels, des périodes de stress ou des modifications alimentaires. Ce suivi longitudinal est précieux pour les aider à maintenir un équilibre optimal.
Mais il y aussi un grand nombre de personnes qui souhaitent activement prendre soin d’eux-mêmes, ils font attention à leur hygiène de vie… L’analyse du microbiote valide leurs efforts et identifie d’éventuelles vulnérabilités. Nous pouvons leur dire : « Vous ne le saviez peut-être pas, mais vous aviez un terrain favorable à Alzheimer ou Parkinson, cependant grâce à votre taux élevé de telle bactérie protectrice, vous l’évitez pour le moment. » C’est un message positif qui encourage la poursuite de leur hygiène de vie.
Une conférence pour tous les professionnels de santé
Que pourront découvrir les participants lors de la conférence du 4 décembre ?
Kahina Oussedik : Nous aborderons les trois microbiotes – buccal, intestinal et vaginal – en allant à l’essentiel pour chacun. L’objectif est de sensibiliser les professionnels aux liens entre ces microbiotes et les troubles systémiques qu’ils rencontrent dans leur pratique.
Pour le dentiste, nous montrerons comment le microbiote buccal peut faire échec à ses soins. Pour l’ostéopathe, nous explorerons les liens avec l’inflammation et les troubles musculo-squelettiques. Pour le médecin généraliste, nous verrons comment des infections négatives aux tests traditionnels peuvent être identifiées par séquençage.
C’est du diagnostic sur mesure et du préventif sur mesure. La technologie shotgun permet enfin de proposer aux patients un protocole adapté à leur situation spécifique, à leur déséquilibre particulier, plutôt qu’un traitement de masse.
Le plus grand progrès, que tous les médecins reconnaissent aujourd’hui, c’est de pouvoir identifier ces infections où l’on disait au patient que c’était psychosomatique parce que les diagnostics revenaient négatifs. Aujourd’hui, ces tests permettent de voir réellement la totalité de la problématique et d’accompagner le patient dans un soin véritablement personnalisé.
Rendez-vous le 4 déc. 2025 en visio ou à Vincennes (Métro Bérault)
Soirée rencontres transdisciplinaires
Microbiotes : Diagnostics de précision pour traitement personnalisés
Venez échanger avec Kahina Oussedik et rencontrer des professionnels de santé engagés dnas une approche globale de la santé, pour des soins intégrés et centrés sur la personne.
Cette conférence, organisée par l’association VimVitae, sera l’occasion d’approfondir ces sujets dans une ambiance conviviale et interactive. Cette soirée vous donnera des clés concrètes pour intégrer le diagnostic microbiote dans votre démarche clinique.
Informations pratiques :
- Date : Jeudi 4 décembre
- Horaire : Accueil à partir de 19h30 à Vincennes (Métro Bérault) 19h30, début de la (visio)conférence à 20h00
- Format : présentiel et visioconférence (avec replay pour les adhérents inscrits)
- Public : Professionnels de santé de toutes spécialités