Curieusement les enjeux de l’amitié sont peu mentionnés parmi les sujets de stress qui pourraient nous mettre sur les dents. Pourtant, l’amitié est à la fois un lien puissant et une relation tout aussi délicate que celui du couple… Car en matière de relation humaine, rien n’est évident, tout est à construire. Et pour un nombre croissant de personnes, se faire des amis est un défi, réguler les relations n’est pas de tout repos et il peut-être complexe de faire le deuil d’une amitié pour s’ouvrir à de nouvelles relations satisfaisantes. Voici un résumé des points clés pour éviter de se casser les dents sur ses attentes en matière d’amitié.
Être en relation ou ne pas être
L’humain est un animal social. Il n’est pas concevable de devenir un être humain sans relation avec d’autres spécimens de notre espèce. Au cours des deux dernières décennies, de nombreuses preuves ont émergé suggérant que le facteur le plus important influençant notre bonheur, notre bien-être mental, notre santé physique et même notre risque de mortalité, sans parler de la morbidité et de la mortalité de nos enfants, est la taille et la qualité de nos cercles d’amitié – ce qui s’avère également vrai pour les primates anthropoïdes. Les amis apportent un soutien moral et émotionnel, ainsi qu’une protection contre les menaces extérieures et le stress de la vie dans un foyer.
Des relations satisfaisantes avec des pairs sont également précieuses pour l’épanouissement. Cette aspiration à construire des relations hors du cocon familial est particulièrement remarquable à l’adolescence, alors avoir ou non des amis peut même prendre une tournure existentielle. Or les données collectées en France comme à l’étranger montrent que le sentiment d’isolement progresse, surtout chez les jeunes. En France, 62% des jeunes de 18-24 ans se sentent régulièrement seuls (contre 37% des 65 ans et plus) et 63% d’entre eux déclarent souffrir de cette solitude, a révélé une étude de l’Ifop publiée en janvier 2024. «Ça brise un certain cliché», souligne Aude Caria, psychologue et directrice de Psycom, un organisme national public d’information sur la santé mentale.
Les bénéfices de l’amitié sur la santé seraient plus évidents encore avec l’âge ? Une enquête transversale menée auprès de 271 053 adultes a montré que, si l’influence sur la santé et le bien-être des relations familiales était statique tout au long de la vie, les amitiés était plus particulièrement valorisées chez les personnes âgées tandis que les préoccupations concernant la santé physique sont plus grandes. Dans une autre étude longitudinale portant sur 7 481 personnes âgées, le soutien des conjoints, des enfants et des amis prédisait un bien‐être subjectif plus élevé sur une période de 8 ans. Cependant, à elles seules, les tensions liées aux amitiés prédisaient une augmentation des maladies chroniques sur une période de 6 ans.
Amitié : développer les compétences
En terme de santé publique, tant dans le domaine biomédical que celui de la psychologie de la santé, les efforts se sont traditionnellement concentrés sur la réduction des facteurs de risque de solitude. Cependant, les chercheurs et les décideurs politiques s’intéressent de plus en plus de facteurs de résilience. Une manière prometteuse, mais sous-explorée, de lutter contre la solitude consiste à apprendre aux gens à développer et à entretenir des relations positives, telles que des amitiés, et à créer l’infrastructure nécessaire à l’épanouissement de ces relations.
Cibler les mécanismes d’amitié, par rapport à d’autres relations telles que les relations de parenté, peut être bénéfique pour plusieurs raisons, notamment plus tard dans la vie. Premièrement, la possibilité d’élargir le réseau familial est réduite plus tard dans la vie ; Cependant, les possibilités de nouer de nouvelles amitiés et de raviver d’anciennes amitiés sont plus grandes. Deuxièmement, les amitiés offrent souvent des avantages que les relations familiales n’offrent pas. Par rapport aux interactions familiales, les interactions entre amis sont associées à un plus grand bonheur, à un plus grand plaisir et à une meilleure santé (par exemple, une meilleure santé cognitive et un risque de mortalité réduit).8, 9, 10 Troisièmement, les interventions amicales peuvent réduire la stigmatisation attribuée aux interventions contre la solitude. De nombreuses personnes ont du mal à lever la main et à reconnaître qu’elles se sentent seules. Cependant, tout le monde peut bénéficier d’amitiés solides.
Certaines interventions contre la solitude ont commencé à cibler les mécanismes d’amitié pour réduire la solitude. Cependant, la plupart se sont concentrés sur une gamme limitée de mécanismes d’amitié, ce qui peut expliquer leur succès limité. Par exemple, la plupart des interventions se sont concentrées uniquement sur le mécanisme comportemental des amitiés, qui visent à améliorer les compétences comportementales (par exemple, améliorer les compétences de révélation de soi, accroître le soutien social). Une intervention plus complète en matière d’amitié pourrait améliorer d’autres mécanismes permettant de nouer des amitiés, notamment la façon dont les gens pensent (mécanismes cognitifs) et ressentent (mécanismes émotionnels, accueil des ressentis sensoriels). Les mécanismes cognitifs comprennent la réduction des préjugés inadaptés concernant les amitiés et une meilleure connaissance des processus d’apprentissage qui incluent l’erreur et la régulation des émotions associées aux relations. Une intervention plus globale visant explicitement à renforcer les amitiés et ciblant tous les mécanismes d’amitié (par exemple comportementaux, cognitifs et émotionnels) pourrait constituer une voie importante pour lutter efficacement contre la solitude à grande échelle.
Amitié : des compétences émotionnelles et relationnelles
Quelque soit l’âge, l’amitié ou son absence reste une expérience potentiellement riches en émotions plus ou moins désirables, plus ou confortables. Cependant dans les péripéties de la vie, nous devons développer nos aptitudes à la nécessaire régulation des relations. C’est plus ou moins facile selon la qualité de l’estime de soi et la pertinence des apprentissages. Car les compétences sociales ne sont pas innées, les compétences émotionnelles peuvent être développées, c’est donc une condition du bien-être.
D’après certaines études, l’amitié est le facteur le plus important influençant notre santé, notre bien-être et notre bonheur. Néanmoins, créer et entretenir des amitiés ne va sans effort. « C’est coûteux, tant en termes de temps à investir que de mécanismes cognitifs qui les sous-tendent ». Les plus récentes études sur le sujet soulignent que les processus de développement des réseaux sociaux personnels relèvent d’une approche pluridisciplinaire combinant entre autre la psychologie sociale et neuropsychologique ainsi que la biologie évolutionniste.
Amitié : les qualités requises
Le sujet a alimenté un grand nombre de publications philosophiques, littéraires, cinématographiques… Mais, dans le domaine de la recherche et de la santé, que sait-on des étapes de vie des relations amicales?
Sur quelle base choisit-on ses amis ? Des recherches américaines, publiées récemment dans la revue Journal of Social and Personal Relations, ont listés les qualités recherchées. Trois caractéristiques sont considérées comme des nécessités fondamentales dans l’amitié : la loyauté, la fiabilité et l’honnêteté. Alors que le pardon, le partage d’information, l’intelligence émotionnelle et le souci du remboursement des dettes étaient classés dans la catégorie des traits moins essentiels, quoique souhaitables.
Soulignons que les deux études ont révélé très peu de différences entre les participants masculins et féminins dans leurs préférences en matière de traits, suggérant un consensus général. Alors que « la plupart des théories de l’amitié suggèrent qu’il devrait y avoir des différences entre les sexes dans les amitiés/préférences d’amitié, puisque les hommes et les femmes ont été confrontés à des problèmes d’adaptation différents au cours de l’histoire de l’humanité » rapportait dans un communiqué Jessica D. Ayers principale autrice de l’une des études.
Perte ou dissolution de l’amitié
« Mes objectifs à long terme, précise la professeure de psychologie, sont de continuer à comprendre les préférences en matière d’initiation et de maintien d’une amitié, pour éventuellement comprendre si le non-respect de ces préférences conduit à la dissolution de l’amitié ou si l’histoire entourant la dissolution est plus complexe ». Quels sont les processus de dissolution de l’amitié chez l’adulte ? Le modèle proposé prend en compte les variables situationnelles, personnelles et interpersonnelles pouvant contribuer à la fin des amitiés de manières actives ou passives. Cette étude portera sur le coût émotionnel de l’expérience de la dissolution. La rupture ou le deuil d’une amitié challenge aussi nos compétences émotionnelles et relationnelles.
Pour aller plus loin
(1) Hong, J. H., Yeh, C. S., Sandy, L. G., Fellows, A., Martin, D. C., Shaeffer, J. A., Tkatch, R., Parker, K., & Kim, E. S. (2022). Friendship and Loneliness: A Prototype Roadmap for Health System Action. American journal of preventive medicine, 63(1), 141–145. https://doi.org/10.1016/j.amepre.2022.01.017
Dunbar R. I. M. (2018). The Anatomy of Friendship. Trends in cognitive sciences, 22(1), 32–51. https://doi.org/10.1016/j.tics.2017.10.004
Chopik, W. J. (2017). Associations among relational values, support, health, and well‐being across the adult lifespan. Personal Relationships, 24(2), 408–422. https://doi.org/10.1111/pere.12187
Vieth, G., Rothman, A. J., & Simpson, J. A. (2022). Friendship loss and dissolution in adulthood: A conceptual model. Current opinion in psychology, 43, 171–175. https://doi.org/10.1016/j.copsyc.2021.07.007 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34403960/
Cleary, M., Lees, D., & Sayers, J. (2018). Friendship and Mental Health. Issues in mental health nursing, 39(3), 279–281. https://doi.org/10.1080/01612840.2018.1431444
Et aussi :
https://www.marieclaire.fr/qualites-ami-parfait-etude,1474818.asp?utm_source=pocket-newtab-fr-fr
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