Le corps jubilatoire pourrait sembler étranger aux professionnels de la santé confrontés aux corps bloqués et douloureux. Cependant notre vitalité et notre bien-être peuvent-ils se contenter d’un corps silencieux ? Comment redéployer la liberté de mouvement du corps joyeux ? Par quels dispositifs peut-on ainsi soigner, dans la joie, les personnes dont les mouvements sont limités parfois seulement par les préjugés et les postures coincées. Participez à la soirée rencontre avec Isaura Corlay, corégraphe et créatrice de Ludodanse.
Isaura Corlay, comment est née votre approche du corps jubilatoire ?
Isaura Corlay : « C’est la quête de toute ma vie. Je devais avoir 4 ans quand j’ai fait mon premier spectacle de danse. En sortant, j’étais si joyeuse ! Dans le salon chez moi, j’ai commencé à faire la roue. Je ressentais une telle joie, une telle liberté ! Créer des dispositifs pour aider les gens à être dans cette liberté, j’y ai consacré toute ma vie ! La joie a une relation directe avec le fait de bouger. Jubiler, c’est comme un synonyme de danser. Non pas danser dans une joie de performance, simplement comme un enfant, bouger parce qu’on est joyeux.
Pourquoi la liberté de mouvement est-elle vitale ?
« La joie c’est un état d’être, un état de santé ! C’est difficile de parler de santé sans parler de la douleur. C’est une joie de sensation : le corps exulte de se sentir exister ! C’est tout simple. Trop simple, ça ne fait pas très sérieux (rires) Pourtant le dispositif pour retrouver cette joie expansive doit être bien ménagé dans nos sociétés occidentales. C’est ce que Ludodanse propose : s’entraîner dans un espace sécure à s’éclater de joie, plonger dans une expérience de la légèreté, de la joie, ressentir dans son corps cette sensation de la vie.
En étant Mexicaine, quand je suis arrivée ici, je me suis aperçue que ma façon culturelle et personnelle d’être expansive était déplacée, choquait un peu. Sur un plan sociologique, on pourrait dire que la joie est soit cachée, soit réprimée, soit interdite. Cette expansion en elle-même est gênante. C’est-à-dire qu’il ne faut pas occuper trop de place. Surtout pour les femmes, non ? Or le corps a besoin de prendre son espace, il a besoin de joie, et il en a le droit. Et oui, c’est possible de retrouver cette liberté, mais il faut créer l’espace, les outils et les dispositifs pour que les personnes puissent vivre, dans leur corps, une expérience d’expansion. »
Comment libérer particulièrement les femmes ?
» Beaucoup de femmes sont bloquées, non pas à cause d’un handicap reconnu, mais on a tellement de préjugés vis-à-vis de nous, de notre corps, de nos formes, qu’on vit très petit, limité. Dans mes cours, je dis pour rigoler : « si votre bassin ne bouge pas, je vous rembourse ». On dirait un slogan pour de l’électroménager, et ça semble absurde de comparer le corps rigide à un frigo, mais c’est aussi en rigolant du ridicule de la situation qu’on se permet de secouer… la casserole (rires). Parce que la joie dans le partage enlève les complexes. Un des outils de Ludodanse, c’est comprendre que rire du ridicule, c’est un outil de liberté. Une liberté pour soi et pour les autres, c’est tout l’intérêt des techniques qui permettent d’amener à la joie.
On est coincé dans une éducation à la gravité. Or jubiler cela veut dire pousser des cris de joie, comme un enfant. Mais faire comme un enfant, ce n’est pas être bête. C’est être authentique. Et quand on a pas peur d’être authentique, ça permet tellement de choses pour soi et pour les autres… Surtout pour celles et ceux qui sont bloqués. »
Pourquoi la joie intéresse-t-elle les soignants ?
« Les bénéfices de la joie sont reconnus d’un point de vue biologique et psychologique non ? La joie active tout le système qui va sécréter les hormones de bien-être et réduire les effets de la déprime ou de l’angoisse. Le fait d’activer la totalité d’un système hormonal qui régule les fonctions autonomes, c’est déjà un soin.
Alors je crois qu’un professionnel de santé qui propose sa technique dans un bain de joie… C’est gagnant-gagnant. Et franchement, c’est pas cher non ? (rires)… C’est moins cher que prendre des médicaments. »
Le corps jubilatoire appelle donc une autre vision du soin ?
Je me suis consacrée à cette question de la joie et de la liberté de mouvement (et dans la danse classiquement ce n’était pas ça). Pendant mes études, il y a plus de 20 ans, j’ai fait des recherches sur les motricités différentes. J’accueille dans mes cours des personnes qui sont vues comme handicapées. Une maman d’élève m’avait indiqué que sa fille avait un problème de motricité, qu’elle se paralysait parfois. Mais ce n’est jamais arrivé dans la danse ! L’énergie de la joie est tellement expansive dans son corps qu’il n’y a pas la place pour se paralyser. Même sur scène avec le trac, son corps est tellement content de faire ce qu’il fait qu’il n’y a pas la place pour se paralyser. Dans la joie les limites s’effacent. »
Vous animerez une soirée-conférence transdisciplinaire sur ces questions en février…
» Oui, je suis ravie qu’on puisse partager nos réflexions et expériences, dans des échanges transdisciplinaires. Je vous attends pour cette conférence sur le corps jubilatoire où on va partager des réflexions et des outils vous permettant de créer des espaces de sécurité où vous et vos patients pourront vivre des expériences de joie et de liberté. C’est ça que j’ai cherché à faire toute ma vie, créer des espaces pour que chacun.e trouve de l’autonomie, de la joie et de la liberté ».